Interprétation de la directive 2008/95/CE : la CJUE clarifie l'usage sérieux en droit des marques
L’usage en Suisse peut-il être pris en compte dans l’appréciation de l’usage sérieux d’une marque sur le territoire allemand (et l’usage en Allemagne pour une marque sur le territoire suisse) en vertu de la Convention germano-suisse du 13 avril 1892 ?
CJUE, 22 octobre 2020, Affaires jointes C-720/18 et C-721/18, Ferrari SpA c/ DU
Dans un arrêt du 22 octobre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne apporte des éclairages sur l’interprétation de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques, en réponse aux deux demandes de décision préjudicielle introduites par l’Oberlandesgericht Düsseldorf. Les faits sont les suivants :
Depuis 1987 et 1990, le constructeur automobile italien Ferrari est titulaire de la marque internationale « TESTAROSSA » et de la même marque en Allemagne, désignant un modèle automobile. La production de ce modèle ayant cessé par la suite, Ferrari a fait usage des deux marques pour identifier des pièces détachées et des accessoires des voitures de sport de luxe, commercialisées antérieurement sous ces marques.
Dans le cadre de deux litiges opposant Ferrari Spa à DU, le Landgericht (Tribunal régional) Düsseldorf a ordonné pour cause de déchéance, la radiation des deux marques « TESTAROSSA » de Ferrari pour absence d’usage sérieux en Allemagne et en Suisse, pour les produits enregistrés en classe 12. Le constructeur automobile italien a interjeté appel devant l’Oberlandgesricht (Tribunal régional supérieur) Düsseldorf, qui après s’être prononcé sur certains points, a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de plusieurs questions préjudicielles.
Dans ce contexte, la Cour a pu se prononcer sur l'interprétation l’article 12 paragraphe 1 et l’article 13 de la directive 2008/95/CE et trancher les points suivants :
- L’usage d’une marque peut-il être qualifié de sérieux, lorsque la marque enregistrée pour une large catégorie de produits et pièces détachées les composant, n’est effectivement utilisée que pour un segment spécifique du marché ou seulement pour les pièces détachées ou accessoires de ces produits ?
L’usage d’une marque déposée pour une large catégorie de produits, pourra être considéré comme sérieux pour l’ensemble des produits et pièces détachées les composant, au sens de l’article 12 paragraphe 1 de ladite directive, alors même qu’il ne concerne qu’un segment spécifique du marché (en l’occurrence, les voitures de sport de luxe) ou seulement les pièces détachées ou accessoires de ces produits. Il en va autrement si, pour le consommateur, il s’agit d’une sous-catégorie autonome de la catégorie de produits pour laquelle la marque a été enregistrée.
- Le titulaire d’une marque qui vend des produits d’occasion ayant déjà fait l’objet d’une commercialisation par celui-ci dans l’Espace économique européen est-il susceptible d’empêcher l’usage sérieux de sa marque ?
Un titulaire n’est pas empêché de faire un usage sérieux de sa marque lors de la vente de produits d’occasion ayant déjà été commercialisés avec son consentement, sous cette marque.
- Le titulaire qui fournit certains services relatifs aux produits commercialisés antérieurement sous une marque, peut-il faire un usage sérieux de cette marque ?
La Cour poursuit son raisonnement en précisant que, la fourniture de services relatifs aux produits commercialisés antérieurement sous une marque enregistrée, peut justifier de l’usage sérieux de ladite marque, si les services sont fournis sous cette marque.
- En vertu de l’article 5 de la convention germano-suisse de 1892, les usages d’une marque en Suisse peuvent-ils être pris en compte dans l’appréciation de l’usage sérieux de la marque en Allemagne, au sens de l’article 12 paragraphe 1 de la directive 2008/95 ?
En vertu de la Convention entre l’Allemagne et la Suisse sur la protection réciproque des brevets, dessins, modèles et marques de 1892, l’utilisation d’une marque enregistrée dans cet État membre sur le territoire de cet État tiers doit être prise en considération pour déterminer si cette marque a fait l’objet d’un « usage sérieux ». Selon la Cour, la Convention de 1892 est incompatible avec le droit de l’Union européenne et l’Allemagne doit prendre les mesures nécessaires en vue de résoudre cette incompatibilité.
En ce sens, l’Allemagne a dénoncé la Convention de 1892 et depuis le 31 mai 2022, un usage en Suisse n’est plus pris en compte dans l’appréciation de l’usage sérieux d’une marque en Allemagne. Toutefois, selon les avis, l’abrogation de cette convention n’a pas d’effets rétroactifs, étant susceptible de prendre en compte dans l’appréciation de l’usage sérieux, un usage en Suisse avant l’abrogation de ladite convention.