Les conséquences du Bréxit sur les marques de l’Union européenne : l’usage sur le territoire de l’Union européenne reste pertinent jusqu’au 31 décembre 2020
L’usage sur le territoire de l’Union européenne reste pertinent pour la marque antérieure comparable jusqu’à la fin de la période de transition, fixée au 31 décembre 2020. Au-delà, seul l’usage au sein du Royaume-Uni sera pertinent.
Opposition du 11 avril 2024 O/0331/24
Dans le cadre d’une opposition, l’Examinateur de l’Office de Propriété Intellectuelle du Royaume Uni (UKIPO) a rappelé les conséquences du Bréxit sur les marques de l’Union européenne.
En effet, le titulaire d’une marque de l’Union européenne ou d’un enregistrement international désignant l’Union européenne, enregistrée avant le 1er janvier 2021, date de fin de la période de transition, est devenu titulaire d’une marque britannique comparable enregistrée et exécutoire, portant sur le même signe ainsi que sur les mêmes produits et services.
La marque de l’Union européenne est gratuitement et automatiquement convertie en droit britannique équivalent au sein du Registre britannique des marques, tout en conservant la date de dépôt ou la date de priorité (si applicable) de la marque première dont elle dérive.
En outre, elle n’est pas susceptible de déchéance au motif que la marque de l’Union européenne n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux sur le territoire du Royaume-Uni avant la fin de la période transitoire.
Ainsi, l’usage de la marque dans un pays de l’Union européenne avant le 31 décembre 2020 sera considéré comme valant usage du droit équivalent au Royaume-Uni.
Publié le 6/28/2024
La dénonciation de la Convention germano-suisse du 13 avril 1892 n’a pas d’effet rétroactif.
En application de l’article 70 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, signée et ratifiée par l’Allemagne et la Suisse, la fin d’un traité relevant de cette convention prend effet sans annulation rétroactive dudit traité.
Opposition du 23 août 2023 ch-B-06169-2020
Dans le cadre d’une opposition, le Bundesverwaltungsgericht/RKGE a en appel tranché la question de savoir si la dénonciation de la Convention germano-suisse sur la protection réciproque des brevets, dessins, modèles et marques du 13 avril 1892 prend effet avec ou sans annulation rétroactive.
L’Allemagne et la Suisse sont parties à la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des Traités, qu’elles ont signée et ratifiée. Étant donné qu'il s’agit d’un accord entre deux États contractants, ladite Convention est applicable conformément à son article 1.
La dénonciation de la Convention germano-suisse de 1892 s’est déroulée conformément à l’article 56 de la Convention de Vienne. La Convention germano-suisse ne contenant aucune disposition sur l’extinction, la dénonciation ou le retrait.
Ladite Convention prévoit en son article 70 que lorsqu’un traité n’est plus appliqué :
- « A moins que le traité n'en dispose ou que les parties n'en conviennent autrement, le fait qu'un traité a pris fin en vertu de ses dispositions ou conformément à la présente Convention :
a) libère les parties de l'obligation de continuer d'exécuter le traité ;
b) ne porte atteinte à aucun droit, aucune obligation ni aucune situation juridique des parties, créés par l'exécution du traité avant qu'il ait pris fin.
- Lorsqu'un État dénonce un traité multilatéral ou s'en retire, le paragraphe 1 s'applique dans les relations entre cet État et chacune des autres parties au traité à partir de la date à laquelle cette dénonciation ou ce retrait prend effet. »
Ainsi, la dénonciation de la Convention germano-suisse de 1892 a pris effet le 31 mai 2022 sans annulation rétroactive et a été complètement abrogée au 1er juin 2022.
Dans le cadre de la preuve d'usage, cette convention prévoit un régime favorable, de sorte que l’utilisation sur le territoire de l’une des parties pour justifier d’un usage sur le territoire de l’autre peut être prise en compte à titre de preuve. Toutefois, pour l’invoquer, faut-il encore que les conditions requises pour son application soient remplies.
En effet, seuls les citoyens allemands et suisses, ainsi que les citoyens de pays tiers résidant ou établis en Allemagne ou en Suisse peuvent invoquer les droits découlant de ladite Convention. En outre, il est implicitement requis que la marque dont l'usage est invoqué ait fait l'objet d'un enregistrement dans les deux Etats, sans toutefois que ces enregistrements soient strictement identiques, mais coïncident dans leurs éléments essentiels.
Publié le 6/27/2024
Interprétation de la classification internationale de Nice par l’Office espagnol des Brevets et des Marques (OEPM) : prise en compte de la classification en vigueur au moment du dépôt
Opposition du 23 octobre 2023 es-AP-M4137119
Dans le cadre d’une opposition du 23 octobre 2023 contre une demande de marque espagnole, l’OEPM se prononce sur l’interprétation de la classification internationale de Nice.
En l’espèce, le défendeur a soulevé le défaut d’usage des marques opposées. Conformément à l'article 21.bis.3 du décret royal 687/2002 : « la preuve d’usage de la marque contiendra des indications sur le lieu, la durée, la portée et la nature de l'usage de la marque opposée en relation avec les produits ou services pour lesquels l’opposition est fondée ».
En l’occurrence, la nature de l’usage pose une difficulté puisque les preuves fournies par l’opposant justifient d’un usage pour des « compléments alimentaires pour le traitement des symptômes de la ménopause », alors que les marques sont enregistrées pour des “préparations pharmaceutiques”
Afin de justifier de l’écart entre l’usage effectif dont la preuve est rapportée et le libellé des marques telles qu’enregistrées, l’opposant argue notamment de l’absence des termes « compléments alimentaires » dans les 7e et 8e éditions de la classification internationale de Nice, alors en vigueur au moment du dépôt.
L’OEPM retient cet argument et considère que les « compléments alimentaires pour le traitement des symptômes de la ménopause », peuvent être considérés comme faisant partie intégrante de la catégorie générale des « préparations pharmaceutiques » visée par la classe 5 de la classification internationale de Nice.
“L’évolution des termes de la classification de Nice dans ses éditions successives est donc l’un des facteurs à prendre en compte dans l’analyse de l’écart pouvant exister entre le libellé d’origine et les produits ou services pour lesquels la marque est effectivement, ultérieurement, exploitée”.
Publié le 6/26/2024
Rattachement territorial de l’usage d’une marque sur internet et le critère “d’incidence commerciale”.
Application de la Recommandation commune concernant la protection des marques, et autres droits de Propriété Industrielle relatifs aux signes sur l’Internet, adoptée par l’Assemblée de l’Union de Paris pour la protection de la Propriété Industrielle et l’Assemblée Générale de l’OMPI à l’issue de la trente-sixième réunion des Assemblées des États membres de l’OMPI 24 septembre - 3 octobre 2001 (la Recommandation Commune de l'OMPI), instaurant le critère «d’incidence commerciale».
Action en déchéance es-apbar-1158_2020
Dans un arrêt du 12 février 2021, le Tribunal de Barcelone s’est prononcé sur l’usage de la marque sur internet, en retenant l’usage sur le territoire espagnol, quand bien même le lieu de prestation effective des services proposés en ligne était celui du Mexique.
En l’espèce, une action en justice en déchéance pour défaut d’usage a été intentée contre la marque espagnole Ikonik Hotels, désignant des services en classes 35 et 43. Par un jugement de 1ère instance, le Tribunal de commerce a fait droit à l’action en déchéance, considérant que l’usage effectif de la marque sur le territoire national espagnol n’avait pas été caractérisé, les services hôteliers proposés en ligne portant sur des prestations réalisées au Mexique. Un appel a été interjeté devant le Tribunal de Barcelone.
Conformément au principe de territorialité qui gouverne le droit des marques, l’usage sérieux doit être réalisé sur le territoire sur lequel la marque est enregistrée, en l'occurrence : l’Espagne.
Le Tribunal de Barcelone retient l’usage sur le territoire espagnol en application du principe “d’incidence commerciale” telle que défini à l’article 3 de la Recommandation Commune de l'OMPI, qui prévoit que peuvent être pris en compte à titre de facteurs, notamment :
«a ) les éléments indiquant que l’utilisateur du signe mène – ou a entrepris des préparatifs sérieux en vue de mener – dans cet État membre des activités commerciales portant sur des produits ou des services qui sont identiques ou semblables à ceux pour lesquels le signe est utilisé sur l’Internet;
(...)
c) le rapport entre une offre de produits ou de services sur l’Internet et cet État membre, notamment la question de savoir: ii) si les prix sont indiqués dans la monnaie officielle de cet État;
d) le rapport entre les modalités d’utilisation du signe sur l’Internet et cet État membre, notamment la question de savoir : iv) si le texte associé au signe est rédigé dans une langue d’usage courant dans cet État; v) si l’utilisation du signe est liée à un espace Internet qui a effectivement été consulté par des internautes se trouvant dans cet État;
e) le rapport entre l’utilisation du signe sur l’Internet et un droit sur ce signe dans l’État membre considéré, notamment la question de savoir : i) si l’utilisation repose sur ce droit »
Ainsi, l’usage sur internet d’une marque n’est pas nécessairement lié au lieu de réalisation effective des services offerts en ligne. Nous rappelons cependant que cette recommandation n’est pas, en raison de sa nature, juridiquement contraignante .
Publié le 6/11/2024
L’existence de « justes motifs » de non-usage d’une marque : une exception interprétée de manière très stricte
En principe, une marque ne sera protégée que du fait de son exploitation. En l’absence d’une exploitation réelle et sérieuse, le titulaire pourra néanmoins échapper à la déchéance de sa marque en démontrant l’existence de « justes motifs » de non-usage de sa marque. Toutefois, faut-il encore que les trois conditions cumulatives requises pour justifier de ce non-usage soient réunies.
Action en déchéance du 6 mai 2022 es-jmbar-1100_2020
Dans le cadre d’une action en déchéance à l’encontre de la désignation espagnole d’une marque internationale, le Tribunal de de commerce de Barcelone a pu rappeler les conditions requises pour justifier du non-usage d’une marque.
Ainsi, l’article 39.4 de la Loi espagnole sur les Marques (Loi 17/2001, ci-après « LM ») dispose qu’une cause justifiant le non-usage d’une marque doit :
- Avoir un lien direct avec la marque
- Rendre l’usage de ladite marque impossible, tout du moins déraisonnable
- Être indépendante de la volonté de son titulaire
La justification de non-usage peut selon les cas couvrir la totalité de la période pertinente de 5 ans ou n’en couvrir qu’une partie, auquel cas, elle ne pourra pas toujours être considérée comme excluant l’exigence de preuve d’usage.
Dans un tel contexte, la durée durant laquelle le motif de non-usage était applicable et le temps écoulé depuis qu'il n'est plus pertinent seront déterminants.
En l’espèce, le Tribunal refuse l’exception de non-usage invoquée par le défendeur en ce qu’elle ne satisfait pas aux exigences de la LM.
Publié le 5/23/2024
Interprétation de la directive 2008/95/CE : la CJUE clarifie l'usage sérieux en droit des marques
L’usage en Suisse peut-il être pris en compte dans l’appréciation de l’usage sérieux d’une marque sur le territoire allemand (et l’usage en Allemagne pour une marque sur le territoire suisse) en vertu de la Convention germano-suisse du 13 avril 1892 ?
CJUE, 22 octobre 2020, Affaires jointes C-720/18 et C-721/18, Ferrari SpA c/ DU
Dans un arrêt du 22 octobre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne apporte des éclairages sur l’interprétation de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques, en réponse aux deux demandes de décision préjudicielle introduites par l’Oberlandesgericht Düsseldorf. Les faits sont les suivants :
Depuis 1987 et 1990, le constructeur automobile italien Ferrari est titulaire de la marque internationale « TESTAROSSA » et de la même marque en Allemagne, désignant un modèle automobile. La production de ce modèle ayant cessé par la suite, Ferrari a fait usage des deux marques pour identifier des pièces détachées et des accessoires des voitures de sport de luxe, commercialisées antérieurement sous ces marques.
Dans le cadre de deux litiges opposant Ferrari Spa à DU, le Landgericht (Tribunal régional) Düsseldorf a ordonné pour cause de déchéance, la radiation des deux marques « TESTAROSSA » de Ferrari pour absence d’usage sérieux en Allemagne et en Suisse, pour les produits enregistrés en classe 12. Le constructeur automobile italien a interjeté appel devant l’Oberlandgesricht (Tribunal régional supérieur) Düsseldorf, qui après s’être prononcé sur certains points, a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de plusieurs questions préjudicielles.
Dans ce contexte, la Cour a pu se prononcer sur l'interprétation l’article 12 paragraphe 1 et l’article 13 de la directive 2008/95/CE et trancher les points suivants :
- L’usage d’une marque peut-il être qualifié de sérieux, lorsque la marque enregistrée pour une large catégorie de produits et pièces détachées les composant, n’est effectivement utilisée que pour un segment spécifique du marché ou seulement pour les pièces détachées ou accessoires de ces produits ?
L’usage d’une marque déposée pour une large catégorie de produits, pourra être considéré comme sérieux pour l’ensemble des produits et pièces détachées les composant, au sens de l’article 12 paragraphe 1 de ladite directive, alors même qu’il ne concerne qu’un segment spécifique du marché (en l’occurrence, les voitures de sport de luxe) ou seulement les pièces détachées ou accessoires de ces produits. Il en va autrement si, pour le consommateur, il s’agit d’une sous-catégorie autonome de la catégorie de produits pour laquelle la marque a été enregistrée.
- Le titulaire d’une marque qui vend des produits d’occasion ayant déjà fait l’objet d’une commercialisation par celui-ci dans l’Espace économique européen est-il susceptible d’empêcher l’usage sérieux de sa marque ?
Un titulaire n’est pas empêché de faire un usage sérieux de sa marque lors de la vente de produits d’occasion ayant déjà été commercialisés avec son consentement, sous cette marque.
- Le titulaire qui fournit certains services relatifs aux produits commercialisés antérieurement sous une marque, peut-il faire un usage sérieux de cette marque ?
La Cour poursuit son raisonnement en précisant que, la fourniture de services relatifs aux produits commercialisés antérieurement sous une marque enregistrée, peut justifier de l’usage sérieux de ladite marque, si les services sont fournis sous cette marque.
- En vertu de l’article 5 de la convention germano-suisse de 1892, les usages d’une marque en Suisse peuvent-ils être pris en compte dans l’appréciation de l’usage sérieux de la marque en Allemagne, au sens de l’article 12 paragraphe 1 de la directive 2008/95 ?
En vertu de la Convention entre l’Allemagne et la Suisse sur la protection réciproque des brevets, dessins, modèles et marques de 1892, l’utilisation d’une marque enregistrée dans cet État membre sur le territoire de cet État tiers doit être prise en considération pour déterminer si cette marque a fait l’objet d’un « usage sérieux ». Selon la Cour, la Convention de 1892 est incompatible avec le droit de l’Union européenne et l’Allemagne doit prendre les mesures nécessaires en vue de résoudre cette incompatibilité.
En ce sens, l’Allemagne a dénoncé la Convention de 1892 et depuis le 31 mai 2022, un usage en Suisse n’est plus pris en compte dans l’appréciation de l’usage sérieux d’une marque en Allemagne. Toutefois, selon les avis, l’abrogation de cette convention n’a pas d’effets rétroactifs, étant susceptible de prendre en compte dans l’appréciation de l’usage sérieux, un usage en Suisse avant l’abrogation de ladite convention.
Publié le 5/4/2024